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8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 13:42
 La déficience intellectuelle, pourrait-on ne plus en parler ?

Notre établissement et notre service accueillent ou accompagnent 130 jeunes reconnus "déficients intellectuels" par la MDPH. Sous cette terminologie barbare mais officielle se trouve une grande diversité de situations, de pathologies, d’origines, d’histoires. La déficience légère et la déficience profonde n’ont ainsi pas grand-chose à voir si ce n’est de donner toute les deux droits à un accompagnement ou un accueil spécialisé. Pourtant, ces deux pathologies très différentes peuvent se retrouver dans les mêmes structures, voir bénéficier du même régime.

Une fois reconnues l’hétérogénéité et la diversité des situations, nous souhaiterions avancer ici l'idée que la terminologie "déficience"induit une représentation fausse de cette source de handicap. Les déficiences visuelles, motrices, auditives sont bien des déficiences au sens ou l'organe est altéré et provoque un ensemble de difficultés amenant à la situation de handicap. La déficience c'est ça et uniquement ça, une atteinte organique.

Dans l'état de retard mental, si parfois l'organe est "déficient" par une atteinte neuronale ou un état d'origine altéré, dans bien des cas, aucune "déficience" de l'organe cerveau n'est présente. On évoque alors des pseudo déficience, ou des origines sociales de la "déficience". Un non sens qui a des répercussions importantes dans les actions mises en places mais surtout dans les représentations portées sur cet état. La déficience est un état irréversible, il est possible de contourner la déficience d'un organe ou d'une fonction en s'appuyant sur des fonctions opérantes et de diminuer ou de compenser la situation de handicap mais quand il est indiqué que la sphère intellectuelle est "déficiente", on induit l'idée d'une irréversibilité de cet état. Ce qui est toujours faux.

Pour comprendre ce propos, il faut envisager que le fonctionnement de l'organe cerveau est bien plus complexe que l'ensemble des autres organes. Les fonctions neuronales forment la base du fonctionnement sur laquelle se développe des fonctions cognitives, elles mêmes dirigées par des fonctions méta cognitives à plusieurs niveaux soumises à des élements conatifs tels la motivation. Les élements affectifs sont primordiaux dans cet état comme dans tous les états d'un jeune en développement. La multitude des entrées pour comprendre un état de retard mental brouille parfois la compréhension du phénomène. Il est tout à fait possible d'étudier les aspects neuro cognitifs d'un jeune en situation de handicap et d'établir un plan de réeducation fonctionnel. Auprès du même jeune, il est également possible d'effectuer une analyse psycho affective de la situation et d'ordonner des soins étayant le système psychique du jeune. Enfin, il est toujours possible d'établir un diagnostic méta cognitif de la situation et de proposer une éducation cognitive palliant la sous utilisation des compétences du jeune. Cette diversité des entrées amène une diversité des réponses dont l'efficacité est forcement limitée si la réponse est unique. Nous pronons dans notre établissement et dans notre service des pratiques permettant que les réponses soient multiples mais coordonnées.

Pour appuyer notre propos, nous ferons globalement référence aux écrits de Daniel Mellier, et de Yannick Courbois, (Lire par exemple Mellier Daniel et Courbois Yannick, « Pour une approche psychologique interactive des enfants qui se développent autrement : la situation de handicap mental »,Enfance, 2005/3 Vol. 57, p. 213-217. DOI : 10.3917/enf.573.0213)

http://www.cairn.info/revue-enfance-2005-3-page-213.htm

La déficience intellectuelle est ainsi un terme peu adapté, nous préférerons ici, comme admis par les conventions internationales, le terme de situation de retard mental, bien plus précis et dont la terminologie ne préjuge d’aucune origine ni d’aucune issue.

Pour résumer notre propos sur cet état de retard mental, deux grandes approches existent, celle du retard et celle de la différence.

Dans la théorie retard (Ziegler), le développement est défini comme identique au développement ordinaire, mais avec présence d’un retard dans ce développement. L’autre idée forte de ces théories est que le retard engendre lui même un retard supplémentaire. Cette théorie fut également défendue à la fin des années 60 par Zazzo qui insistait sur une notion d’hétérochronie du développement. De manière précurseur, Inhelder avait commencé à poser cette notion avec celles de viscosité mentale et d’oscillation pathologique.

L’oscillation pathologique consiste à passer d’un mode de raisonnement à un plus archaïque. Il est possible que coexistent deux types de raisonnement, pré opératoire et opératoire et que l’enfant oscille entre ces deux types de raisonnement en fonction des situations sociales. Le contenu peut également faire osciller le type de raisonnement.

La viscosité génétique est un phénomène dont la description se rapproche du phénomène physique de la viscosité. Plus elle est épaisse, plus elle résiste aux avancées. Les changements sont englués dans les habitudes précédentes, la nouveauté a du mal à se détacher des forces de raisonnement antérieures.

Dans la théorie de la différence, l’accent porte sur l’utilisation des outils cognitifs.

Par exemple, si l’on considère le lexique, il n’y a pas forcement de différence dans la somme des mots connus entre une situation de retard mental et un développement typique, mais il en existe une dans l’organisation de ce lexique en catégories.Dans la situation de non-retard, le mot « fruit » va englober des mots comme « pomme » ou « banane » dans un ensemble et créer des liens entre ces mots.Dans la situation de retard mental, il est possible que ces mots coexistent sans prééminence de l’un sur les autres. Fruit, pomme, banane coexistent sans niveau hiérarchique.

Plusieurs particularités existent ainsi .

  • la difficulté à transférer et à généraliser des acquisitions, l’opération de « pontage » est compliquée et doit être accompagnée. Les connaissances ont tendance à rester isolées, prisonnières de leur contexte d’acquisition.
  • L’utilisation de la métacognition ou du contrôle exécutif . Il y présence de difficultés dans le contrôle, l’anticipation, la planification.
  • Le fonctionnement est sous-utilisé de manière générale (Paour). Les personnes avec retard mental ne mobilisent pas spontanément les différents modes de raisonnement.
  • Les facteurs conatifs influencent fortement les facteurs cognitifs, la question de la motivation est alors parmi les principales. Il existe ainsi de manière générale une faiblesse de la motivation à explorer, une faiblesse de l’estime de soi , une auto attribution d’incapacité, un manque de perspective temporelle et de projet de vie, une étroitesse du réseau social.

Toutes ces difficultés viennent se surajouter à l’état de retard mental et alimentent également la situation de retard mental.

Mais alors que faire face à l'importance et à la diversité des différentes difficultés? Tout d'abord expliquer cette complexité afin de la rendre entendable et compréhensible. Le premier écueil à éviter est la simplification de la situation, tendance naturelle dont l'avantage est de permettre l'émission de réponses opérationnelles, le deuxième est le découragement devant l'importance des besoins du jeune en situation de retard mental.

100% des jeunes accompagnés dans notre établissement et service présentent un retard mental dont l’importance varie en fonction des situations. Notre problématique est alors de concevoir des pratiques professionnelles spécifiques à cet état mental afin de le réduire ou de permettre un contournement des difficultés principales voir des incapacités mentales.

Dans cette recherche de pratiques professionnelles adaptées, si l'on considère que la compréhension des besoins permet la création d'actions efficaces, un membre de l’équipe a un rôle primordial, le psychologue.

De par sa formation spécifique sur ce sujet, le psychologue est un acteur important dans l’institution. Il connait le développement de l’enfant et sa diversité, il est à même d’expliquer aux professionnels les particularités d’un développement atypique.

Le psychologue se doit d’informer, d’éclairer, de conseiller, de soutenir, de proposer des actions pertinentes visant à réduire les différents champs énoncés précédemment.

Trop souvent, la réponse apportée au retard mental passe par la prise en compte des incapacités (faiblesse du fonctionnement), sans proposer de méthode de contournement de la difficulté, mais en réduisant les exigences. Il est alors utile de se rappeler les propos de Fernand Oury, figure majeure de la pédagogie institutionnelle sur la nécessité de l’exigence comme premier devoir envers l’enfant.

Outre cette faiblesse récurrente à réduire les exigences plutôt qu’à les reformuler, les solutions des professionnels sont souvent plus implicites qu’explicites. Par exemple, si développer le réseau social et permettre au jeune de trouver des personnes ressources est un point important, l’aide apportée l’est rarement dans cet objectif. On parlera du lien social, du renforcement de ce lien voir de « l’ouverture au monde », mais pas directement du développement d’un réseau social. Le rôle du psychologue est bien alors de faire prendre conscience aux professionnels des aides possibles qu’ils peuvent apporter pour compenser la situation de retard mental.

D’autres actions des psychologues peuvent également viser l’augmentation de l’efficience par des apprentissages de stratégie performante ou bien viser l’aide à l’autonomie et à l’intégration.

Cette description de la déficience intellectuelle est très succincte, mais le problème est qu’il n’existe pas de consensus sur ces points évoqués ici. Les formations initiales des professionnels éducateurs, AMP, assistants sociaux, enseignants, ne contiennent par forcement ces informations de base ou ne sont pas jugées comme importantes par les aidants, les classant comme un savoir didactique déconnecté de la réalité du terrain.

Le psychologue se doit donc bien d’agir avant tout dans une tentative de lien entre les aspects théoriques et les pratiques développées par les professionnels, c’est une responsabilité qui lui incombe, mais qui est nécessaire pour voir se développer des pratiques innovantes adaptées aux besoins particuliers de ces jeunes. Encore faut-il pour cela qu'il sorte de son bureau pour aller à la rencontre de ses collègues.

la conclusion de notre propos est que le terme de « déficience intellectuelle » est bien contre-productif en laissant entendre que cet état est lié à une « déficience », soit à un état définitif alors que la réalité montre toutes les possibilités d’évolution positive de cette situation de retard mental. Ce changement de point de vue état définitif/évolutif permet alors l'intervention de spécialistes du développement, les psychologues, les mieux à mêmes d'expliquer et de soutenir les professionnels dans leur quête d'une pratique efficace et adapté aux besoins du jeune.

Il est plus que temps de changer de langage et par la même le regard et les pratiques portées sur ces jeunes. Arrêtons de parler de "déficience intellectuelle".

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commentaires

G
Je vous vante pour votre éditorial. c'est un vrai boulot d'écriture. Continuez
Répondre
G
Je vous applaudis pour votre éditorial. c'est un vrai boulot d'écriture. Développez
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